• Je lui ai mis son petit manteau, ajusté son petit sac sur le dos, et elle m'a parue bien grande.

    Je lui ai expliqué qu'on pouvait encore faire marche arrière, qu'il était pas trop tard, qu'on pouvait annuler la crèche, que j'arrêterai de travailler, et qu'on vivrait toutes les deux d'amour et de lait tiède. 

    Elle m'a regardée de ses grand yeux bleus, et elle s'est dirigée vers la porte d'un pas bancal mais décidé.

    Pour la retenir, j'ai bien pensé la remettre dans mon ventre, un jour ou deux, mais j'ai repensé à mon épisiotomie et je l'ai suivie. 

    Sur la route, j'ai marché tout doucement, parfois à reculons, pour gratter encore un peu de temps à la sentir dans mes bras. 

    Et je me suis souvenue que c'était mon devoir de mère de la laisser s'envoler en toute sérénité. 

    Alors je lui ai chuchoté que tout allait bien se passer, que ça ne serait pas du tout l'horreur, que j'allais pas du tout pleurer quand je ferai la route dans l'autre sens, que pour elle non plus ça ne serait pas du tout un déchirement, qu'elle n'allait pas du tout se sentir abandonnée avec l'impression que je ne reviendrai jamais. 

    Devant la porte, un panneau : "Chez les moyens". 

    Ca doit être une erreur, ma fille est encore toute petite. Elle blottit encore sa tête contre moi avant d'aller au lit, elle dort encore les poings fermés et le corps en chien de fusil. Ses petites jambes ne la portent pas encore tout à fait, et sa peau est plus douce que celle d'un nouveau-né. 

    Puis en apercevant derrière la porte Lola, Suzie, Mansour et les autres, j'ai dû me rendre à l'évidence : leurs cheveux avaient poussés, leurs corps s'étaient élancés, leurs traits s'étaient révélés en même temps que leurs joues s'étaient dégonflées. Mais c'était bien les "Petits" de l'année dernière, ceux que les vacances d'été avaient projeté sans leur demander au rang des "Moyens", les arrachant au statut de bébés en même temps que le coeur de leurs mères. 

    Leurs mères qui n'en menaient pas large non plus, et avec qui j'échangeais regards nostalgiques et sourires tristes de circonstance. 

    Ils nous ont fait visiter la nouvelle section. On suivait notre guide comme on va à l'abattoir, d'un pas résigné et lourd, et en se concentrant bien, on pouvait entendre les accords de la marche funèbre de Chopin qui résonnait dans toutes les têtes. 

    On nous a montré les dortoirs où les barreaux des lits s'étaient fait la malle, et la cantine où les chaises hautes avaient laissé place à des démoniaques tables de grands. 

    Je leur ai demandé s'ils avaient vraiment l'intention de faire dormir ma toute petite dans ce lit et de la faire manger sur cette table, ou si c'était juste pour m'achever, et aussi où était la salle de Pole Dance et s'ils avaient le droit de sortir entre midi et deux. 

    Puis il a fallu se séparer et je me suis postée, ma fille dans les bras, face à Denise, prête à intercepter le colis. 

    Je lui ai dit non ne pleure pas ma toute douce, ma toute petite, maman revient bientôt mon bébé, ne pleure pas, ne pleure pas.

    ...

    Bon c'est pas la peine de te marrer non plus. 

    Ni de tendre les bras à Denise. Qui, dois-je te le rappeler, ne s'est jamais explosé le périnée pour toi, et n'a pas non plus, que je sache, perdu deux tailles de soutien-gorge par ta faute. 

    Sans un regard pour moi, mon soutien-gorge vide ou mes yeux embués, elle s'en est allée embrasser tout ce qui bougeait, y compris le monsieur des travaux et le ballon qui passaient par là. 

    J'ai tendu à Denise ses doudous, que j'ai senti une dernière fois, et un tee-shirt à moi, pour qu'elle ait mon odeur (ma fille, pas Denise). J'ai pris celui dans lequel j'avais fait mon footing, pour être sure qu'elle puisse bien me sentir, et au risque que tout le dortoir aussi et qu'ils finissent pas m'appeler tous maman. 

    Je lui ai jeté mon regard le plus triste, elle m'a répondu par un sourire à pleines dents de lait. 

    Alors que j'avais franchi la porte, je n'ai pas pu m'empêcher de retourner regarder une dernière fois de son côté. Affranchie de mon regard et libérée du poids de mon angoisse, elle était redevenue toute petite. Toute timide, toute vulnérable, toute petite dans ce monde de moyens.

    En rentrant, j'ai remis mon nez dans ses draps, de l'ordre dans son lit de bébé. Et j'ai attendu. Envoyant un mail par ci, écrivant un article par-là, pour que le temps passe plus vite. 

    J'ai compté les heures, et les minutes, et au moment venu, j'ai couru jusqu'à la crèche. En me voyant elle a couru aussi en me tendant les bras, et je me suis dit en la sentant que tout le reste avait peu d'importance. 

    Comme quoi, on a beau lutter contre les clichés, avec un petit bout de femme comme ça en face de soi, ils finissent toujours pas nous rattraper.


  • Commentaires

    1
    Vendredi 10 Septembre 2010 à 12:29
    Sam Lowry
    Bon courage pour la rentrée en maternelle. Le pire étant sans doute l'entrée en CP (seul jour de ma vie où je me suis retrouvé, ensuite, accoudé à un comptoir à boire un whisky à 9h00 du matin...)

    Alors oui, tout ça est sans doute très cliché. Mais moi je ne regrette pas, parfois, de m'y abandonner.

    (et pour être honnête, en lisant ce post, j'avais peur qu'il ne se termine par une touche bien (auto) ironique, voir même cynique... alors je suis content, parce que je viens de lire un très très beau papier...)
    2
    Samedi 11 Septembre 2010 à 02:52
    Piccolo
    Meuh.....
    Alors d'abord oui, c'est une vache qui a écrit le titre de ce commentaire et y'a un rapport avec le lait mais j'y viendrai plus tard.
    Tout d'abord... Je ne savais pas qu'il y avait des sections de "taille" en crèche, et une rentrée et tout (oui Sam, c'est encore un peu tôt pour la maternelle et le mot crèche a été écrit à la quatrième ligne).
    En ce qui concerne la taille de soutien-gorge par contre kmille, et c'est là que ma vache voulait intervenir, d'après l'expérience d'une amie, la ou les tailles perdues (par rapport à avant la grossesse) après la fin de l'allaitement vont revenir, rassure-toi !
    3
    Dimanche 12 Septembre 2010 à 21:03
    kmille
    Sam Lowry : Comme je te disais, merci je suis touchée
    Piccolo : si je peux me permettre inspecteur, Sam ayant compris que j'avais mal vécu l'entrée en crèche me souhaitait bonne chance pour la rentrée en maternelle qui n'est pas si loin Et pour les miches, malheureusement quand ça revient c'est rapidement ou après une 2ème grossesse, et moi ça fait 15 mois et j'en ai pas d'autre de prévu. En gros je l'ai dans l'os sévère !
    4
    incognito
    Dimanche 12 Septembre 2010 à 21:10
    incognito
    C'est curieux si peu de commentaire pour un si bel article !
    5
    Dimanche 12 Septembre 2010 à 21:33
    kmille
    Ah ça m'en parle pas... J'aimgine que mes 10237 lecteurs quotidiens sont restés scotchés, sans voix, anéantis par tant de beauté, et que leurs yeux n'y voyaient plus clairs et que leurs mains tremblaient... Les pauvres...
    6
    Gaël
    Lundi 13 Septembre 2010 à 19:38
    Gaël
    10238
    7
    Mercredi 15 Septembre 2010 à 20:19
    kmille
    Ah oui c'est exact j'avais oublié de compter Simone (de Beauvoir)
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    8
    viryze
    Samedi 2 Octobre 2010 à 15:30
    viryze
    C'est grand et beau
    Kmille,
    Je suis toute émue de ton poste en effet (et ça fera 10239)et un peu rassurée que tu n'ais pas dérivé dans le cynisme non plus car je viens de vivre l'entrée en maternelle...et j'ai beau être matinale, ça m'a fait mal! Le pire c'est que le papa d'habitude très macho n'en menait pas large non plus. Alors le soir pour se venger on descend tout le personnel de l'école....Y'en a une qui a osé avancer l'idée que les enfants étaient anxieux (?)!!! Saurait-elle au moins ce que c'est, elle qui végète au bout d'une table pendant qu'ils regardent la télé (en garderie...). Après tous les efforts envers ma chère tête blonde pour en faire une tête un peu moins blonde quand même

    Enfin tu m'as permis d'en rire, merci.
    9
    Mardi 2 Novembre 2010 à 07:41
    hurluberlulu
    Je ne serai pas cynique. Seulement nostalgique. Après avoir fait les rentrées de crèche, maternelle, CP, 6ème et 2nde, je pense que la plus arghh fut celle de maternelle de ma deuxième fille. La première avait adoré, la deuxième a détesté. Dans le premier cas, j'avais la patate, dans le second, l'envie de me traiter de traître.
    10
    Isalabelge
    Samedi 18 Décembre 2010 à 16:04
    Isalabelge
    larme à l'oeil
    Juste dire ça: la larme à l'oeil que tu m'as foutu, j'ai re-vécu les premières séparations, fierté et nostalgie mêlés, avec aussi ce regard sur soi qui fait qu'on ne s'écroule pas ("t'es gâteuse ma pauvre crotte!")
    Et rassure-toi, ça ne s'arrange pas (mes poulettes ont 4 et 7 ans, et je vois toujours le bébé en elles).
    11
    ennaxila
    Dimanche 20 Février 2011 à 16:02
    ennaxila
    trop beau
    ma petite fille a 6 mois et elle commence la crêche! je me suis bien retrouvée dans ce très beau papier...çà m'a RE mis les larmes aux yeux!!! car moi aussi j'ai versé qq larmes en repartant les 1ere fois...le paap n'a pas trop compris pourquoi...bravo encore
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