• Hier soir, 21h. Je m’apprête à vivre le plus beau moment de ma journée : celui de ma première bouchée de pâtes boursin-thon, devant une redif de Confessions Intimes. J'ai faim, j'ai hâte, je trépigne, d'autant plus que ça fait trop longtemps que ça ne m'est pas arrivé, 24 heures environ.

    Au moment où ma bouche s’approche délicatement de ma fourchette, coup de sonnette à la porte.

    Soupir.

    C’est les filles de ma voisine, âgées de 7 et 14 ans.

    A tous les coups, elles ont besoin de sel, je me dis. Ou peut-être de crème ou de beurre.

    A en juger leur mine déconfite, elles en ont VRAIMENT besoin, je me dis.

    - Camille ça va pas du tout, il y a mamam qui fait un malaise.

    - Ah ?

    - Tu peux venir ?

    - Vous me laissez 10 minutes et je suis là.

    - Non, tout de suite s'il te plaît...

    J’hésite à lui expliquer le problème des pâtes froides, et celui de la sécheresse de celles réchauffées, mais je sens à leur menton qui tremble que l’heure n’est pas aux négociations.

    Alors j’obtempère, et j'arrive dans leur appart.

    - Salut Isa, ça va ? Je lui dis en essayant de lui faire la bise.

    C’est pas simple, rapport au fait qu’elle est allongée sur le sol, face contre terre.

    Elle me répond que oui, ça va, mais on me la fait pas à moi, je sens que ça pourrait aller mieux quand même.

    Je lui demande si je peux faire quelque chose pour elle, lui amener un peu de sel ou de crème par exemple, elle me répond que non, ça va aller, par contre elle veut bien que j’appelle un médecin.

    Ca tombe plutôt bien, récemment j’ai appris par cœur le numéro de SOS Médecins, en me disant que ça pouvait servir, pour ma fille.

    Je compose le numéro.

    - Domino’s Pizza bonsoir ?

    Ca tombe mal le même jour j'avais appris par coeur le numéro de Domino's Pizza, en me disant que ça pourrait servir pour moi.

    Je raccroche aussitôt. Ca me rappelle la fois où j'avais raccroché au nez de SOS Médecins alors que je voulais commander une pizza. J'avais flippé comme une folle qu'ils localisent mon appel et m'envoient les urgences.

    Là, au pire, ils m'enverront une margarita, je me dis. 

    Alors j'envoie un texto : "supplément chèvre au cas où, bisoux."

    Puis je finis par tomber sur SOS Médecins :

    - Bonjour, j'appelle pour commander un médecin au domicile de ma voisine.

    - Oui, quels sont ces symptômes ?

    - Elle est allongée face contre terre sur le sol.

    - Pouvez-vous être plus précise ?

    - Dans le couloir qui va des toilettes à la chambre de sa fille. Enfin de l'aînée, parce que l'autre dort côté salon.

    - D'accord, on vous envoie quelqu'un d'ici 45 minutes.

    Je suis donc allée prévenir Isa que patience, ça allait pas tarder. Elle a fait "hurmfff", et "Grhinhin" puis "blurp", plusieurs fois.

    Je suis allée essayer de rassurer ses filles, en toussant et me raclant la gorge pour couvrir tant bien que mal les onomatopées de leur maman : "Bah alors c'est quoi RRRRRRRRA cette tête les filles ? On est pas HUM HUM bien là ? Ca vous dit on se commande RRRRAAAAA une HUUUUM pizzAAAAAAAA ?".

    Le médecin a fini par arriver, puis il était temps parce qu'on finissait par plus bien se comprendre, on s'entendre, je sais plus.

    Puis une fois qu'il s'était occupé d'elle et qu'il m'avait expliqué que ça serait bien que je dorme avec elle, je suis juste repassée chez moi pour noter sur FB un "statut suspens", du genre de ceux que j'avais juré sur la biographie de Loana de jamais utiliser :

    "Soirée SOS médecins..."

    Sur mes 464 amis, 7 ont demandé ce qu'avait ma fille, 456 n'ont pas réagi.

    Et 464 donc, si mes calculs sont bons, ne se sont donc pas inquiétés pour moi.

    Ah oui puis il y en a un qui a "liké".

    Et mes pâtes étaient froides.

    Mais isa pète la forme.


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  • J’avais souvent remarqué que de nombreuses vendeuses ont en commun un langage bien à elles, constitué de termes et d’expressions spécifiques. A n’en point douter, ce langage propre est principalement destiné à provoquer l’acte d’achat. Mais je ne peux pas m’empêcher d'y voir aussi, au même titre que la french manucure carrée et strassée, un moyen de montrer et revendiquer leur appartenance à la grande famille des vendeuses.

    C’est en tout cas ce qui m’a sauté aux yeux hier, lorsque Sabrina (qui ne m’avait pas précisé son nom, mais qui avait plus une tête à s’appeler Sabina que Domitille ou Ségolène), m’a alpaguée. Ensemble, tentons de comprendre les subtilités de sa langue (percée, cela va de soi). 

    « Dans les tons bleus je vais avoir ça »

    Elle utilise le « je », et ce même si elles sont 72 à travailler dans la boutique, et parle systématiquement au futur proche. Ainsi, si elle te brandit un article en te disant qu’elle va avoir ça, ne lui demande pas quand elle va le recevoir, elle l’a déjà, tu vois bien, nigaud.

    « Je vais avoir ce petit top, aussi »

    Elle aime utiliser l’adjectif « petit ». Elle va avoir des « petites » jupes, des « petits hauts », mais jamais des « grandes chemises » ou des « gros pantalons ». Même si ladite chemise t’arrive aux pieds et que ledit pantalon est un 54. D’ailleurs, elle te conseillera sûrement de le porter avec des petites ballerines, que tu fasses du 36 ou du 44.

    « Si vous voulez je peux vous le mettre en cabine. »

    Si jamais l’essayage est concluant, elle te la mettra en caisse. Dans le cas contraire, elle la remettra en rayons. Ou alors tu lui demanderas une autre taille qu’elle ira chercher en réserve. Mais si jamais tu te tâtes un peu, n’hésite pas à lui demander de la garder en mains.

    « C’est du coton, ça se détend »

    Sois rassurée si ton pantalon te coupe la circulation sanguine et anéantit toute tentative de pliage de genoux, c’est du slim, c’est normal. Et c’est du coton, ça se détend, et au prochain lavage tu redécouvriras aussitôt les joies de la marche.

    « C’est du coton, ça bouge pas »  

    Le coton est une matière intelligente. Qui se détend quand il y a besoin, et qui bouge pas le cas échéant. Un peu comme le stretch, en fait.

    « Ca se porte comme ça »

    Tu soupçonnes ton petit top d’être un peu grand, rapport au fait que tu pourrais inviter toute ta famille dedans ? C’est moche, pas pratique (tu te prends les pieds dedans, un peu, quand même), mais c’est normal, ça se porte comme ça.

    « J’ai une petite jupe qui va avec »

    En vrai elle n’en a pas qu’une. Elle utilise juste le singulier, même si elle en a 37 en rayons. D’ailleurs, si elle te conseille de l’assortir avec une petite tong, n’aie crainte, en réalité il lui en reste au moins deux.

    « Ca va avec tout »

    Devant ta mine circonspecte face à ce petit haut prune à pois marrons, Sabrina tient à te rassurer, « ça va avec tout ». Si tu lui demandes « avec quoi par exemple ? », elle te répondra « Oh bah avec du prune, du marron… » Puis comme elle se rendra compte de la galère dans laquelle elle s’est embarquée, elle ajoutera indéniablement : « … du jean, du petit pois, du petit tee-shirt basique… »

    Ca va avec DU TOUT, on te dit.

    Puis si jamais après tout ça tu hésites encore, Sabrina t'assènera le coup final et l'argument ultime, avec un air complice et entendu. 

    "J'ai le même à la maison".

    Forcément là, tout de suite, te voilà conquise.


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  • J’aime bien ce mot, il en jette. Peut-être parce que c’est un mot compliqué pour désigner quelque chose de simple que beaucoup ne savait pas désignable.

    En général, quand tu l’utilises, il y a toujours quelqu’un pour dire « procrastina-quoi », et quand tu lui expliques que ça désigne le fait de toujours tout remettre au lendemain, la personne semble soulagée, presque libérée. Ses yeux s’éclairent, sous l’effet de la joie de découvrir qu’il existe un terme pour désigner cette caractéristique qui lui est si familière, et dont elle subissait jusque- là le poids en silence, faute de pouvoir la nommer.

    C’est rassurant les mots plaqués sur des états ou des attitudes, tu te sens moins seule avec tes névroses, parce que tu te dis que s’il existe un mot pour le décrire, c’est qu’il y a au moins deux personnes dans le monde qui sont concernées.

    Par exemple, il n’y a pas, à ma connaissance, de mot pour désigner l’envie irrépressible d’enfiler des palmes en passant devant chez un fleuriste.

    Ou le besoin viscéral de faire un poirier tous les jours à 11h47.

    Ou encore la tendance systématique à danser la Macarena pendant deux jours et deux nuits à chaque changement de saison.

    J’imagine qu’il existe, quelque part dans les hautes sphères, une commission d’attribution des noms évaluant pour chaque syndrome l’opportunité ou pas de créer un mot pour le désigner, en fonction du rapport investissement en temps et enrichissement du vocabulaire/utilité et fréquence probable d’utilisation.

    - Bon les gars, gros dossier aujourd’hui, il faut qu’on trouve un mot pour désigner le fait d’avoir peur du chiffre 666.

    - Roh Chef vous êtes sûr que c’est vraiment la peine ? C’est bien spécifique quand même…

    - Les gars je vais pas vous apprendre notre devise… « Une seule, requête, quéquétte…

    - « … plus d’une requête, on se creuse la tête » on sait, Chef.

    - Alors au boulot.

    - Je propose « sixcentsoixantesixophobe ».

    - Ouais on voit bien que c'est la fin de journée, tu te foules pas quand même.

    - On pourrait peut-être trouver un nom un peu marrant, pour changer, pendant mon cursus j’ai appris que d’un point de vue marketing…

    - Ta gueule, stagiaire.

    - Moi je verrai plutôt un mot compliqué, un terme qui fait un peu peur, un peu médical, un peu sérieux quoi.

    - Oui je suis assez d’accord. C’est important de lui donner un peu de crédibilité, qu’il ait sa petite minute de gloire même, parce que ça risque de pas durer. C’est pas facile de rester digne en avouant qu’on a peur du chiffre 666.

    - Faut qu’on donne tous les gars, là.

    - Pruritanophobie ?

    - C’est déjà pris, pour la peur de se gratter en public.

    - .Je propose « chiffretriplecomprisentrecinqetseptophobe »

    - Mouais.

    - Si je peux me permettre, j’ai appris dans mon cursus qu’il fallait des noms facilement mémoris…

    - Ta gueule stagiaire.

    - Et qu’est-ce que vous pensez de « Hexakosioihexekontahexaphobie »

    - ...

    - Génial Gérard. 

    - Fabuleux.

    - Magique.

    - Comment ça s’écrirait ?

    - Comme ça se prononce stagiaire.

    Voilà comment grâce à l'imagination de Gérard, certainement le fils du patron, et malgré les résistances du stagiaire, le mot Hexakosioihexekontahexaphobie est un jour rentré dans le dictionnaire, prouvant par la même qu’au moins deux personnes sur cette pauvre Terre redoutent plus que le tout le chiffre 666.

    Ah oui c'est pas tout, la nécrodendrophilie désigne l’attirance sexuelle pour les arbres morts.

    Et l'exiobophilie celle pour les extraterrestres.

    Contente si ça vous a soulagé.

    Bisoux.


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